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D'UN LIVRE À L'AUTRE

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La prédominance de l'essai

Je m’étais juré, en 2006, que c’était la dernière fois. Un essai-hommage ? Le tour d’une œuvre en quelques dizaines de pages après des années de recherches et d’analyses ? Plus jamais. Après tout, j’avais donné !

 

Je m’étais d’abord, dans ma jeunesse, attardé au travail de Pauline Julien, la belle rousse, l’incendiaire dont m’avait toujours ému le regard de louve, la voix rauque et la fragilité à peine camouflée sous des dehors de passionaria (elle n’aimait pas ce mot). Je m’étais attardé à son écriture, complément de son travail d’interprète. D’elle, j’avais tout écouté, réécouté, lu, relu, décortiqué, retranscrit. Cette figure-clé de notre paysage culturel, figure de proue de la quête d’une identité féminine et québécoise à laquelle aujourd’hui – et c’est tant mieux – on rend hommage par tous les bouts, il me semblait nécessaire de lui consacrer un livre. D’autant plus nécessaire que personne au Québec ne l’avait encore fait et que, pour reprendre les mots de Gérald Godin, on ne parlait plus d’elle par chez nous... « Rejetée par le milieu artistique » (je cite Godin de mémoire), ignorée du public qui ne la connaissait pas ou ne souhaitait plus se souvenir, on l’avait enterrée vivante. Devant l’ampleur du désastre, j’avais souhaité réagir, lui consacrer une édition précise (méticuleuse) des textes qu’elle avait écrits, fondement d’un court essai sur sa façon de se nommer, d’affirmer sa présence au monde. 

 

Le livre, une fois publié, me semblerait malhabile, scolaire, bien loin – à quelques pages près – de ce qui avait brûlé en moi pendant les centaines d’heures passées à le rêver, le concevoir ; le pétrir, l’écrire. Nous méritions mieux, elle et moi, que ce bouquin un peu frêle (moins un problème de volume que de densité). Je le lui avouai : elle me fit taire. Cet hommage qu’elle n’avait pas vu venir (qui avait initialement pris la forme d’un mémoire de maîtrise en Études littéraires), elle en était heureuse. Ne cessait de me le répéter. Pour ça, et pour toutes les heures joyeuses que j’y avais consacrées, j’en viendrais à me réjouir aussi. Après tout, n’avais-je pas, en menant à terme ce projet, obéi à ce qui me semblait relever de la nécessité ?

 

Toujours est-il qu’avec ses failles et ses forces, l’objet mènerait son petit bonhomme de chemin. Et que la rencontre de Pauline Julien – subséquente à l’écriture – me donnerait le courage de  monter sur scène, de chanter, d’apprendre un métier qui ne serait jamais tout à fait le mien (affaire de circonstances) mais qui m’offrirait de belles et grandes joies, la première étant de connaître de l’intérieur ce que signifiait le geste de chanter. « J’aurais aimé enseigner », m’avait confié Pauline alors que nous revenions d’une séance de signature au Salon du livre de Montréal. « C’est que vous surévaluez le métier d’enseignant », lui avais-je répondu, avant d’ajouter que je l’enviais d’avoir gagné sa vie en chantant ! « C’est que tu surévalues le métier de chanteur », avait-elle tranché à son tour, avec un sourire un peu triste sans doute assez semblable au mien. Bientôt, grâce à elle, ses mots : « Mais vas-y ! T’es prêt ! », je chanterais. Et j’emmagasinerais une compréhension des choses qui me serait ô combien utile à l’instant de me consacrer, quelques années plus tard, au plus ancien de mes projets d’écriture : rendre hommage à Dalida, l’autre rousse flamboyante, « si aimée, si seule » (pour reprendre les mots de Madeleine Chapsal), mégastar et cependant méprisée – du moins en surface – par toute une frange de la population. À cette femme dont on disait tant de mal (elle qui jamais, en public, ne se livrait au moindre exercice de dénigrement), cette femme dont on niait trop souvent l’intelligence et le talent – au Québec plus qu’ailleurs –, à cette chanteuse qui incarnait à mes yeux le tragique absolu (elle ne s’était tout de même pas tuée pour rien !), qui avait déjà fait l’objet d’une dizaine de livres pour la plupart bardés de clichés et dénués de sens critique, je voulais depuis longtemps rendre hommage à ma manière, à travers un essai.  

Il me faudrait du temps – je suis d’un naturel lent –, mais j’y arriverais. Et pour le coup, je serais parfaitement en accord avec le résultat (je le suis toujours). Sans jamais occulter les zones d’ombre de mon « sujet », je jetterais les phares sur ce qui, à mon sens, exigerait d’être mis en lumière. Le livre attirerait suffisamment l’attention pour que je remarque, dans des bouquins qui viendraient après, une modulation du discours sur Dalida, mille et un échos à ce que j’avais écrit. La réédition de ce texte en format poche au 30e anniversaire de sa disparition m’inviterait à me relire. De nouveau, la joie : ce texte me semblerait toujours juste.

 

Puis cet autre essai, auquel je consacrerais ensuite un temps fou, portant sur le travail de la romancière Françoise Chandernagor. La découverte de cette écriture-là, d’une facture très classique mais pas anachronique pour autant, m’avait sonné. De là à tout lire, relire, fouiller, etc., il n’y avait qu’un pas. Mais pourquoi écrire là-dessus ? Parce que – Gérald Godin, encore –  il faut écrire les livres qu’on a envie de lire mais qu’on ne trouve ni en librairie ni sur les rayons des bibliothèques. (Une idée hautement défendable !) Un livre sur les livres de Chandernagor... ? Personne, ni en Europe ni ici, ne s’était encore aventuré dans ce pays-là. Et j’avais tant envie de m’épivarder sur ce nouveau terrain de jeu ! Pourquoi me retenir ? D’une étude qui aurait pu donner lieu à une thèse de doctorat (j’y ai songé), j’ai choisi de faire un essai (logique) sous forme de lettre ouverte (l’art de bellement se compliquer la vie). Il me plaît, ce bouquin. Comme me plaît le recueil de poésie publié quelques semaines plus tôt, sorte de prolongement métaphorique de mon livre sur Pauline, coup de chapeau par la bande, et à mi-mots, à son compagnon de route, tout ça sur une toile de fond opératique dominée par les voix de la contralto Kathleen Ferrier et de la soprano Renée Fleming. Mon recueil de nouvelles lui, ne me plaît qu’en partie... C’est qu’au moment d’en déposer la version définitive, j’ai élagué beaucoup (trop), jeté des textes que j’aurais peut-être dû conserver... et conservé deux nouvelles dont j’aurais dû faire l’économie. Je ne renie rien : je prends note. Pour faire mieux la prochaine fois.

 

Mais revenons aux « livres-portraits »... En cette matière, il me semblait que j’avais fait le tour. Écrire encore ? Évidemment ! Écrire de nouvelles chansons : impossible de « faire sans ». Écrire de la poésie : mon idée des vacances. Écrire d’autres essais... ? Oui, bien sûr. Mais plus rien qui tienne de l’hommage. Plutôt m’attarder à des idées, privilégier des thématiques et non des figures. C’était compter sans la suite de mon histoire avec Renée Fleming : tout ce qui, à son écoute, allait s’ouvrir devant moi ; c’était compter sans le bonheur de tisser des liens, de réunir de ces fils apparemment disparates mais qui ne demandent qu’à se toucher. Je l’ai espéré longtemps, ce livre... Espéré le lire, j’entends. Jusqu’à me dire que je n’allais tout de même pas, en me tournant les pouces, l’attendre indéfiniment ! N’empêche que cette fois, c’est dit : au chapitre des « hommages », j’ai donné. Quatre, ça suffit ! « Jamais quatre sans cinq » ? Aucun risque : ce dicton n’existe pas. 

 

À moins que, justement...   

 

           Puisqu’il n’existe pas... 

           Tous ces gens que j’aime et dont je n’ai pas parlé...

 

                                                                                                                         

       On verra ça plus tard. 

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